Nous avons la chance de collaborer professionnellement avec Gérard MAZZIOTTA, Docteur en Droit des Affaires (Panthéon-Sorbonne), diplômé d’Etudes Supérieures de Droit Public et de Droit Privé et diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques. Gérard nous permet de bénéficier, tout comme ses étudiants en Ingénierie Financière, de son expérience acquise en particulier à la Banque de France où il a été Directeur à la direction des Relations Internationales puis en succursale. Il partage avec nous son analyse sur un éventuel retour de l’inflation.
Faut-il craindre le retour de l’inflation ?
La crise sanitaire sans précédent que nous connaissons s’est traduite par d’énormes injections de liquidités tant par les banques centrales (FED, BCE, BOJ…) que par les Etats. Ces injections de liquidités et ces soutiens à l’économie via les budgets des Etats se traduisent souvent en langage médiatique par « planche à billets et déficit budgétaire ». Mais nous savons tous, instruits par l’histoire, que derrière de tels déficits se profile souvent, en second tour, une inflation résultant d’un excès de demande par rapport à l’offre.
Qu’en est-il et quelles sont les perspectives ?
Tout d’abord définissons rapidement l’inflation et essayons d’en cerner les origines.
L’inflation se manifeste par une augmentation générale et durable des prix des biens et services qui se traduit par une perte de pouvoir d’achat des ménages. L’indicateur généralement utilisé pour la mesurer est l’indice des prix à la consommation. L’inflation résulte donc d’un déséquilibre entre l’offre et la demande de biens et services sur un marché et l’on comprend bien que l’évolution du niveau général des prix n’est qu’un indicateur permettant de la mesurer.
Au-delà de cette définition, le plus significatif est le déséquilibre entre l’offre et la demande. Or, ce que nous constatons aujourd’hui via les interrogations sur les injections massives de liquidités, c’est la référence à une cause historique de l’inflation ancrée dans l’inconscient collectif, à savoir une quantité excessive de monnaie dans l’économie (ou une vitesse de circulation accélérée de cette monnaie ce qui revient au même). Les économistes se réfèrent en général à la formidable hausse des prix en Allemagne en 1923 (République de Weimar durant laquelle les taux d’inflation ont dépassé les 5000 % l’an) qui illustre parfaitement les éléments constitutifs d’une hyperinflation, éléments que nous pouvons lister pour les apprécier :
- un niveau d’endettement du pays et un service de la dette écrasant,
- une pression spéculative sur le cours de la devise,
- la perte de confiance dans la monnaie fiduciaire d’où une circulation accélérée de la monnaie et l’apparition de monnaies de substitution (« la mauvaise monnaie chasse la bonne »),
- l’indexation des salaires ouvriers et des classes moyennes sur les prix.
Certains de ces paramètres semblent d’actualité mais nous ne sommes pas vraiment dans un contexte économique similaire. C’est pourquoi tous les rapprochements avec les crises antérieures peuvent se révéler rapidement inopérants. La crise actuelle n’est pas celle de 1929, pas plus que celle de 1945, ou celle de 2008, etc…Elle a comme particularité de mêler une crise sanitaire de dimension mondiale, qui a mis les économies en « pause » sans destruction de capital physique, à une crise financière sous-jacente qui n’attendait qu’une étincelle pour allumer la mèche qui ferait éclater la bulle financière. En effet, les banques centrales qui ont maintenu trop longtemps leurs politiques monétaires « accommodantes » peuvent apparaître comme des pompiers pyromanes. Cependant, elles ont retenu des leçons de l’histoire et notamment de la crise de 1929. Elles sont prêtes à tout mettre en oeuvre (le fameux « whatever it takes ») pour éviter un effondrement des marchés financiers qui se propagerait à l’économie réelle, via une contagion du crédit (crédit crunch) conduisant à la déflation et à la récession. Les banques centrales ont compris qu’une injection de liquidités massive ne crée pas de richesse mais peut éviter des faillites en série, à commencer par le niveau du secteur bancaire, et ainsi éviter de la destruction de capital car, tout autant qu’une guerre, une récession qui s’accompagne de faillites est destructrice de capital. Il faut donc agir vite et fort. C’est ce qui a été fait : 5000 milliards de $ pour les pays du G20, 150 milliards par jour injectés par la FED, 750 milliards par la BCE, 720 milliards par les budgets des pays de la zone euro. Les sommes annoncées, représentant près de 20 % du PIB mondial, donnent le vertige sans que nous ne puissions discerner les prêts à court terme, des dépenses définitives ou des opérations dites de « repo », donc sans que nous ne puissions identifier qui paiera quoi. Néanmoins, il fallait annoncer des chiffres qui marquent l’opinion.
La dernière manifestation est l’utilisation de ce que la plupart des économistes considéraient comme farfelue il y a quelques mois et qui aujourd’hui est devenu la doxa, la théorie de « l’hélicoptère monnaie ». Dans ce schéma, plus d’intermédiation bancaire mais des interventions directes qui alimentent entreprises et particuliers afin de soutenir la demande par une injection de liquidités totalement monétisée par les banques centrales. La FED, la BCE, la Banque of England et même la P. Bank of China sont désormais convaincues de l’efficacité de ce schéma iconoclaste.
On comprend dans ces conditions que les ingrédients d’une forte inflation voire d’une hyperinflation sont réunis.
Auteur : Gérard MAZZIOTTA (VALETYS)